Restitution des résultats d’une enquête menée auprès de plus de 400 personnes en France sur les connaissances et la perception du contrôle biologique classique contre les plantes exotiques envahissantes.
Récemment reconnue par la Convention sur la Diversité Biologique (CBD) comme un outil de gestion des espèces invasives Sheppard et al. (2019), le contrôle biologique dit “classique” – CBC – (introduction d’un un agent de contrôle biologique provenant de la zone d’origine de la plante invasive dans le milieu colonisé par cette plante) n’est pourtant que très rarement utilisé pour la gestion des plantes exotiques envahissantes (PEE) en Europe. Son utilisation est surtout limitée à la gestion des insectes nuisibles envahissants Gerber, Schaffner, and others (2016). Cette utilisation assez courante du CBC contre les insectes contraste fortement avec l’absence d’utilisation de cette méthode contre les PEE. Seuls quelques projets ont été développés à ce jour en Europe : trois programmes au Royaume-Uni pour le contrôle de la Renoué du Japon (Fallopia japonica), la Balsamine de l’Himalaya (Impatiens glandulifera) et la Crassule de Helm (Crassula helmsii), un au Portugal pour contrôler l’Acacia longifolia Shaw et al. (2018) et un très récent programme également contre la Renoué du Japon aux Pays-Bas (S. Lommen, comm. pers.).
En France, aucun programme de CBC contre les PEE n’a été mis en place en France métropolitaine, uniquement en outre-mer où seulement deux projets ont été initiés Le Bourgeois, Baret, and De Chenon (2011). Alors que de plus en plus d’herbicides chimiques ne sont plus homologués, la demande et l’intérêt du publique et des pouvoirs publics pour des méthodes plus respectueuses de l’environnement progressent constamment. Le CBC des PEE pourrait être un des outils développés dans le futur pour fournir une meilleure gestion de ces espèces. Cependant, la méthode n’étant pas utilisée, de nombreuses interrogations sur les connaissances et la perception du CBC contre les PEE sont, pour le moment, sans réponse. On peut néanmoins émettre l’hypothèse de “zone d’ombre” autour de la méthode, c’est-à-dire des connaissances floues liées à une mauvaise communication (voire inexistante) et une certaine crainte des risques associés (effets non intentionnels).
Les questions centrales de ce post sont donc, que connait-on en France de cette méthode et surtout, qu’en pense-t-on ?
Cet article présente les principaux résultats d’une enquête menée auprès de plus de 400 acteurs de la filière “gestion de PEE” (agriculteurs, gestionnaires d’espaces naturels, chercheurs). Cette enquête, composée d’une série de questions, visait à évaluer les connaissances sur cette méthode, comprendre comment les différents acteurs perçoivent les risques associés à l’utilisation du CBC, et déterminer quelle est la volonté d’utiliser, en France, cet outil de gestion. Ces résultats peuvent être perçus comme un point de départ et fournissent des informations utiles, non seulement aux décideurs politiques, mais aussi aux agences scientifiques françaises pour l’adoption de la pratique et pour guider d’éventuels futurs programmes de recherche.
Comme attendu, la grande majorité des personnes interrogées (71%) ne connaissaient pas le CBC contre les PEE (Fig. 1). Lorsque l’on regarde comment se répartissent les résultats en fonction des corps de métier consultés, seulement 45% des scientifiques connaissaient cette méthode. Cette méconnaissance est plus importante chez les agriculteurs (82%) et les gestionnaires de milieux naturels (71%)1.
La formation (scolaire, universitaire ou professionnelle) est le moyen de connaissance et d’information de la méthode le plus souvent mentionné (73%) par les participants. Les médias ne sont pas une source d’information puisque seulement 6% des personnes interrogées ont déclaré avoir entendu parler du CBC contre les PEE dans les médias (internet, presse, TV). La majorité des participants (72%) a indiqué ne pas être suffisamment informés sur cette méthode. Cependant, une divergence a été observée entre les différents corps de métier (Fig. 1). Les scientifiques, avec plus de la moitié (56%), ont indiqué qu’ils étaient suffisamment informés alors que seulement 16% des agriculteurs et 22% des gestionnaires l’ont déclaré.
Au vu des résultats de l’enquête, une première conclusion serait qu’une meilleure communication autour de la méthode permettrait une meilleure connaissance de celle-ci, et potentiellement, une meilleure acceptation de celle-ci.
La suite du questionnaire s’est focalisée sur la perception de cette méthode. La grande majorité des personnes interrogées (80%) a jugé que le CBC contre les PEE est une méthode risquée. Les gestionnaires et les scientifiques sont les deux groupes qui ont le plus exprimé leurs préoccupations à l’égard de cette méthode (Fig. 1).
Le risque lié au CBC est percu de manière homogène entre les différents corps de métier. Ne sont donc présentées ici que les tendances générales. Le principal risque identifié par les participants était le risque environnemental (e.g. perte de biodiversité) (58%). Le manque d’expérience / le manque d’expertise en deuxième position (27%). Seulement 3% des participants ont identifié le risque économique (e.g. dommages au cultures, etc.) comme le principale risque lié au CBC. Ces résultats sont à nuancer car environ 10% des personnes interrogées ont spécifié un risque qui ne figurait pas dans la liste proposée lors de l’enquête. Ce risque, très revélateur des résultats de l’enquête, était lié à “une perte de contrôle” de l’agent introduit, l’agent devenant lui-même une espèce envahissante. Ce risque peut à lui seul impliquer des impacts environnementaux et économiques.
Si un consensus existe entre les différentes partie prenantes sur la perception du risque lié au CBC, des divergences sont apparues sur la perception de l’efficacité de la méthode (Fig. 2). Les scientifiques et agriculteurs pensent en majorité que l’utilisation d’agents de CBC peut améliorer la gestion des PEE. En revanche, près de la moitié des gestionnaires semble sans opinion sur cet item (ni d’accord, ni pas d’accord). Cette situation pourrait traduire l’attente de preuves de l’efficacité de la méthode, d’exemples concrets illustrant les succès du CBC.
La suite du questionnaire s’est attachée à déterminer la volonté d’utiliser le CBC, ou du moins d’étudier la faisabilité d’une utilisation future. Plus de la moitié des participants (53%) a déclaré être d’accord pour utiliser un ou des agents de CBC. Cependant, des disparités sont observées entre les différentes parties prenantes. Les gestionnaires se sont montrés les plus préoccupés par l’utilisation d’agents de CBC ; plus d’un quart (26%, Fig. 2) étant plutôt ou fortement en désaccord avec cette idée, alors que seulement 14% des agriculteurs et 16% des scientifiques étaient en désaccord. Les agriculteurs semblent fortement adhérer à cette possible utilisation de la méthode puisque près des trois quarts (73%) accepteraient l’emploi d’agents de CBC (Fig. 2).
Les participants à l’enquête ont été amenés à identifier les PEE les plus problématiques. Au total, 77 espèces ont été citées. Le Tableau 1 recense les 10 espèces problématiques les plus fréquemment citées. Sans surprise, les trois taxons dominant ce classement sont la Renouée du Japon (F. japonica), les Jussies (Ludwigia sp.) et l’Ambroisie à feuilles d’armoise (Ambrosia artemisiifolia).
Espèce | Nom commun | Origine | Milieu(x) | Commentaire relatif au CBC |
---|---|---|---|---|
Fallopia japonica | Renoué du Japon | Asie | Berges, sites perturbés | Agents introduits au Royaume-Uni et Pays-Bas, évaluation de leur impact en cours |
Ludwigia sp. | Jussie | Am. du Sud | Eaux stagnantes ou à faible courant | Agents prometteurs identifiés dans la zone d’origine, étude en cours |
Ambrosia artemisiifolia | Ambroisie | Am. du Nord | Berges, champs, friches, sites urbains perturbés | Agents introduits en Chine et en Italie, succès avéré |
Ailanthus altissima | Ailante glanduleux | Asie | Ripisylves, forêts, sites urbains | Projet en cours, agents prometteurs identifiés dans la zone d’origine |
Heracleum mantegazzianum | Berce du Caucase | Caucase | Berges, prairies humides | Peu prometteur, pas d’agent identifié dans la zone d’origine |
Impatiens glandulifera | Balsamine de l’Himalaya | Asie | Ripisylves, berges, friches humides | Agents introduits au Royaume-Uni, évaluation de leur impact en cours |
Phytolacca americana | Raisin d’Amérique | Am. du Nord | Ripisylves, forêts mésophiles, friches urbaines | Pas d’investigation connue sur les ennemies naturels |
Buddleja davidii | Arbre aux papillons | Asie | Berges, sites urbains perturbés | Agents introduits en Nouvelle Zélande, évaluation de leur impact en cours |
Datura stramonium | Stramoine commune | Am. du Nord | Berges, champs, friches | Peu d’études |
Myriophyllum aquaticum | Myriophylle aquatique | Am. du Sud | Eaux stagnantes ou à faible courant | Succès avéré en Afrique du Sud |
Ces espèces sont en effet reconnues comme préoccupations majeures à l’échelle nationale. La quasi-totalité des espèces constituant le “top-10” (9 sur 10) a fait ou fait actuellement l’objet d’un programme de CBC en dehors de France et, pour 7 espèces, le CBC offre un potentiel intéressant. Par exemple, l’Ambroisie à feuille d’armoise constitue un enjeu majeur en santé publique par son pollen fortement allergisant. Cette PEE est aussi problématique pour l’agriculture, notamment dans les cultures de printemps où elle entraîne des baisses de rendements, une utilisation importante des herbicides, ainsi qu’une perte de valeur foncière des terres agricoles. L’introduction de la chrysomèle Ophraella communa (Coleoptera : Chrysomelidae) en Chine et en Italie s’est révélée particulièrement efficace pour le contrôle de cette PEE (Fig. 3). Par exemple, les concentrations de pollen présent dans l’air dans la région de Milan ont considérablement diminué Bonini et al. (2016). Des études menées sur le terrain dans cette région font état d’une destruction importante d’Ambroisie par la chrysomèle et confirment la réduction massive (> 80%) des quantités de pollen émis par la plante Schaffner et al. (2020). Une introduction dirigée d’O. communa en France permettrait de contrôler durablement les populations d’ambroisie et de diminuer drastiquement les concentrations de pollen (réduction allant de -75% à -100%, Mouttet et al. (2018)), responsable des coûts médicaux liés à la prise en charge des soins, notamment en région Auvergne-Rhône-Alpes (i.e. zone de forte présence de l’ambroisie en France). Au niveau européen, le CBC de l’Ambroisie par O. communa permettrait d’économiser plus d’1 milliard d’euros par an Schaffner et al. (2020).
A-t-on la volonté, en France, de développer des programmes de recherche de CBC sur les différentes PEE citées ? Cette question a conduit à un consensus entre les trois corps de métier (Fig. 2). Trois quarts des personnes interrogées (74%) se sont déclarés favorables au développement d’un tel programme de recherche contre moins de 10% en désaccord. Au vu des résultats, la filière “gestion des PEE” pourrait donc être prête au lancement de nouveaux programmes de recherche impliquant du CBC contre les PEE.
Cette enquête confirme le manque de connaissances du CBC des différents acteurs français de la filière. Cette méconnaissance peut être l’un des facteurs clés de la non-adoption de la méthode, et est probablement à l’origine de la “peur” à l’égard de son utilisation. De plus, le sentiment général contre le CBC des PEE provient aussi de quelques échecs emblématiques passés du contrôle biologique. Initialement relâchée pour le contrôle des pucerons Roy et al. (2016), la coccinelle asiatique, Harmonia axyridis, s’est propagée de manière incontrôlée dans la plupart des régions d’Europe. Cependant, la coccinelle asiatique est un insecte généraliste (i.e. se nourrit de plusieurs espèces d’insectes), là où le CBC des PEE ne concerne que des agents spécialistes des plantes cibles (i.e. l’agent se nourrit exclusivement de la plante ciblée), limitant ainsi le risque d’effet non intentionnel. Promouvoir la sécurité du CBC par une meilleure communication, notamment à travers les médias, mais aussi via les formations scolaires et universitaires ou l’organisation de journées thématiques, pourrait changer l’attitude réticente des Français envers cette méthode. Il conviendrait, par exemple, de mieux communiquer sur les méthodes d’évaluation des risques avant toute introduction d’un agent de CBC dans un nouvel environnement (thématique abordée dans un prochain post), mais aussi sur la fiabilité de ces méthodes d’évaluation. Deux études récentes, Suckling and Sforza (2014); Hinz, Winston, and Schwarzländer (2019), ont déterminé qu’à ce jour, moins de 1 % de toutes les introductions d’agents de CBC contre les PEE, ont eu ou peuvent avoir un impact sur les populations de plantes non ciblées.
Il conviendrait également de rassurer sur le manque d’expertise et le manque d’expérience cité comme l’un des risques liés à l’utilisation du CBC en France. En effet, de nombreuses équipes de l’INRAE, du CIRAD, etc., travaillent sur des thématiques très proches et/ou en collaboration avec des équipes internationales (CSIRO, USDA, CABI, etc.) sur cette thématique.
De même, illustrer le potentiel du CBC en fournissant des exemples de réussite comme le contrôle de la Salvinie géante (Salvinia molesta) serait également utile pour promouvoir l’engagement et le soutien du grand public et des différents acteurs, mais aussi, et surtout, des décideurs politiques. L’accent pourrait être mis dans les médias et les systèmes éducatifs (école, travail, enseignement spécialisé et supérieur) sur les études montrant que le CBC contre les PEE permet une gestion durable. En effet, selon une étude récente, environ 25 % des projets de CBC contre les PEE ont permis un contrôle complet, et 50 à 70 % de ces projets ont permis un contrôle au moins substantiel Hinz, Winston, and Schwarzländer (2019).
Enfin, les résultats présentés ici fournissent une mise à jour ou plutôt un point de départ sur les connaissances de la méthode et la volonté d’utilisation du contrôle biologique contre les PEE. Ils peuvent être utiles pour (ré-)ouvrir la porte au CBC en France. Cette enquête révèle que les différentes parties prenantes ont une volonté d’étudier le potentiel du CBC pour la France. La filière française de gestion des PEE doit alors être impliquée pour développer de tels programmes. Cependant, le développement de tels programmes ne pourra débuter que si la recherche est financée…
La prochaine série de posts se focalisera sur les différentes étapes d’un programme de contrôle biologique :
-> A la recherche de l’agent parfait : prospections dans la zone d’origine, 1ere étape du programme
Bonini, M, Branko Šikoparija, M Prentović, G Cislaghi, P Colombo, C Testoni, STE Lommen, H Müller-Schärer, M Smith, and others. 2016. “A Follow-up Study Examining Airborne Ambrosia Pollen in the Milan Area in 2014 in Relation to the Accidental Introduction of the Ragweed Leaf Beetle Ophraella Communa.” Aerobiologia 32 (2): 371–74.
Gerber, Esther, Urs Schaffner, and others. 2016. Review of Invertebrate Biological Control Agents Introduced into Europe. CABI.
Hinz, Hariet L, Rachel L Winston, and Mark Schwarzländer. 2019. “How Safe Is Weed Biological Control? A Global Review of Direct Nontarget Attack.” The Quarterly Review of Biology 94 (1): 1–27.
Le Bourgeois, Thomas, Stéphane Baret, and R Desmier De Chenon. 2011. “Biological Control of Rubus Alceifolius (Rosaceae) in La Réunion Island (Indian Ocean): From Investigations of the Plant to the Release of the Biocontrol Agent Cibdela Janthina (Argidae).” In. FHTET.
Mouttet, Raphaelle, Benno Augustinus, Maira Bonini, Bruno Chauvel, Nicolas Desneux, Emmanuel Gachet, Thomas Le Bourgeois, Heinz Müller-Schärer, Michel Thibaudon, and Urs Schaffner. 2018. “Estimating Economic Benefits of Biological Control of Ambrosia Artemisiifolia by Ophraella Communa in Southeastern France.” Basic and Applied Ecology 33: 14–24.
Roy, Helen E, Peter MJ Brown, Tim Adriaens, Nick Berkvens, Isabel Borges, Susana Clusella-Trullas, Richard F Comont, et al. 2016. “The Harlequin Ladybird, Harmonia Axyridis: Global Perspectives on Invasion History and Ecology.” Biological Invasions 18 (4): 997–1044.
Schaffner, Urs, Sandro Steinbach, Yan Sun, Carsten A Skjøth, Letty A de Weger, Suzanne T Lommen, Benno A Augustinus, et al. 2020. “Biological Weed Control to Relieve Millions from Ambrosia Allergies in Europe.” Nature Communications 11 (1): 1–7.
Shaw, Richard H, Carol A Ellison, Helia Marchante, Corin F Pratt, Urs Schaffner, René FH Sforza, and Vicente Deltoro. 2018. “Weed Biological Control in the European Union: From Serendipity to Strategy.” BioControl 63 (3): 333–47.
Sheppard, AW, Q Paynter, P Mason, S Murphy, P Stoett, P Cowan, J Brodeur, et al. 2019. “IUCN Ssc Invasive Species Specialist Group.” The Application of Biological Control for the Management of Established Invasive Alien Species Causing Environmental Impacts.
Suckling, David Maxwell, and Rene Francois Henri Sforza. 2014. “What Magnitude Are Observed Non-Target Impacts from Weed Biocontrol?” PloS One 9 (1): e84847.
Une définition du contrôle biologique classique a alors été fourni à chaque participant pour la suite du questionnaire.↩︎
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Lesieur (2021, Dec. 17). Controle Bio des Plantes Invasives: Connaissances et perception du contrôle biologique contre les plantes invasives en France. Retrieved from http://www.controle-bio-plantes-invasives.fr/posts/2021-12-17-connaissances-et-perception-du-contrle-biologique-contre-les-plantes-invasives-en-france/
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